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[SIGB Libres] OpenFlora, un logiciel propriétaire “libéré”

22 Nov

NB : Dans cet article, je prends position assez violemment, et risque de passer pour une intégriste du Libre. Je sais que le Libre peut servir de produit d’appel (un éditeur libère le noyau d’un logiciel, et dès que l’usager veut passer aux choses sérieuses, il doit payer pour des modules complémentaires qui sont indispensables). Je ne suis pas d’accord avec cette démarche, en tout cas pratiquée de cette manière. Vous êtes prévenus si vous désirez poursuivre la lecture de cet article.

OpenFlora, à l’instar des deux logiciels dont il a été précédemment question, est un SIGB 100% web. Mais son histoire est quelque peu différente. À l’origine d’OpenFlora, on trouve Ever Team, un éditeur de logiciels lyonnais dont la spécialité est plutôt le logiciel propriétaire, et dont les produits phares étaient depuis une vingtaine d’années les trois Flora : Flora Musée, Flora Archives et Flora Library.

Le 1er février 2010, donc très récemment, Flora Library a été « libéré », c’est à dire que son code a été rendu public et que la licence propriétaire a été troquée contre une licence CeCILL. Les deux autres Flora, moins répandus, restent des applications propriétaires. C’est pour le moins énigmatique, pour un éditeur de logiciels, de « libérer » ainsi son produit phare sans s’inscrire dans une démarche globale de passage au Libre. De plus, Ever Team affiche son intention de rester un éditeur de logiciel et de ne pas se transformer en prestataire de services, comme c’est le cas de PMB Services. Ever Team reste le mainteneur du logiciel, et garde le contrôle de la feuille de route tout en espérant compter sur la formation d’une communauté pour le développer. Mais alors, qui finance ? C’est là que le bât blesse.

OpenFlora, si la solution peut sembler séduisante au premier abord, profite du côté permissif de la licence CeCILL pour proposer, en plus du noyau libre, des modules propriétaires, dont le code reste bien caché. Vous voulez réaliser un import SUDOC sous OpenFlora ? D’accord, mais le module est propriétaire et payant. Vous voulez utiliser utiliser le protocole Z39.50 pour rechercher des informations dans vos bases de données ? Là aussi, il vous faut un module complémentaire payant. Et si vous voulez faire de la GED, gérer une sitothèque ou une photothèque, il vous faut encore des modules complémentaires payants. Pour couronner le tout, Ever Team encourage le plus possible l’usager à utiliser ses solutions hébergées : encore un SIGB par navigateur, paramétrable, personnalisable, mais surtout, dans les nuages… Ever Team s’occupe de vos donnés et de la maintenance, bien sûr. Et c’est payant.

OpenFlora, la fleur ouverte en latin, pouvait sembler s’être épanouie sous l’air du temps avec l’essor des logiciels libres (d’après François Élie, d’ici dix ans, il n’y aura plus de logiciels propriétaires, et c’est fort possible puisque même Microsoft se met à faire du Libre). Mais dès que l’on s’en approche de trop près, la belle fleur libre se referme. Ici, le passage au Libre, en plus de créer un « buzz » intéressant d’abeilles libristes autour de la jolie fleur, permet d’offrir un produit d’appel – qui, ne soyons pas mauvaise langue, conviendra peut-être à quelques bibliothèques – mais qui a pour enjeu principal de faire la promotion de modules complémentaires payants et de solutions d’hébergement, payantes elles aussi. « Le Libre est à la mode, faisons du Libre, mais sans revoir notre modèle économique : après tout, nous sommes un éditeur de logiciels riche de vingt ans d’expérience, pas un prestataire de services. »

Passée la déception de voir un logiciel a priori si prometteur, s’avérer en réalité un produit d’appel destiné à faire la promotion d’un éditeur de logiciel pas si libriste que ça, on peut réfléchir sérieusement à l’avenir d’OpenFlora, libre depuis bientôt un an. Que se passera-t-il probablement ? Un certain nombre de personnes paieront pour les modules complémentaires, certes, mais il y a fort à parier que d’autres préféreront payer pour le développement d’une nouvelle brique logicielle, sous licence libre cette fois, avant de la redistribuer. Et le logiciel finira, s’il est jugé assez intéressant pour être étudié et modifié, par échapper à Ever Team, qui devra soit s’adapter et proposer davantage de services, soit voir la belle fleur s’envoler, libre pour de bon. Car un logiciel, une fois libéré, ne redevient pas propriétaire : il disparaît, ou échappe, en un temps plus ou moins long, à ses concepteurs. Cela fait partie des règles du jeu.

Il est aussi tout à fait possible qu’Ever Team se serve du succès d’OpenFlora pour vendre Flora Musée et Flora Archives… Mais peut-on réellement se réclamer un éditeur de logiciels libres en continuant à se rémunérer grâce à des logiciels propriétaires ? Cela ressemble dangereusement à Microsoft qui, flairant la concurrence du Libre, se met brusquement à faire de l’Open Source, sans changer son intention de continuer à dominer le plus longtemps possible le monde de l’informatique.

Par ailleurs, Ever Team justifie la libération de Flora Library en parlant de l’impact de la crise économique, qui restreint les budgets des bibliothèques. Or, la théorie prouve – et l’expérience le confirme – que le passage au Libre, bien loin d’être gratuit, est coûteux – en temps, en formation, en prestations (il faut assurer la migration), en bugs (les SIGB libres présentent la particularité d’être souvent moins stables), en coûts de développement (il faut parfois financer directement les améliorations à apporter au logiciel et la correction des bugs, quitte à redistribuer par la suite ces modifications au profit de la communauté), etc. Il ne s’agit pas tant de faire des économies sur le coût des licences que d’apprendre à mutualiser, non seulement du côté du l’offre, mais aussi du côté de la demande.

Passer au Libre, c’est certes devenir dans une certaine mesure « propriétaire » de son logiciel, mais aussi assumer les coûts liés à cette propriété – puisqu’il n’est plus aussi facile de se retourner contre l’entreprise éditant le logiciel en cas de dysfonctionnement. Un bug, qui peut sembler très ennuyeux à un usager, peut ne pas l’être du tout pour la communauté – et l’usager mécontent ayant signalé le bug peut avoir la déconvenue d’entendre que la correction dudit bug n’est pas dans la liste des priorités, et que s’il désire que celui-ci soit corrigé, il n’a qu’à financer le débogage.

Évidemment, rien n’est jamais tout noir : OpenFlora est codé en Java.

NB : Cet article appartient à une série d’articles sur les SIGB libres. Je les ai écrits en 2010 dans le cadre d’un travail universitaire, et ils ont fait l’objet de légères modifications avant la présente publication. Ils sont tous sous licence Creative Commons CC-BY-SA.

 
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Posted by on November 22, 2011 in Des logiciels et des bibliothèques

 

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